Je n’arrive pas à dormir.
Je n’arrête pas de me tourner sans cesse sur mon lit de camp dressé en pleine nature. Quelque chose d’inhabituel me dérange.
Les émotions se mélangent en moi, oscillant entre l’excitation et une pointe d’appréhension à l’idée de passer la nuit dans cet environnement si différent de ce que je connais.
Mais quelle idée de s’installer ici. Pour l’ambiance, c’est réussi !
Quand Moses, notre guide, nous a montré l’endroit où nous devions camper, je suis restée sidérée.
Après avoir marché durant quatre heures entre arbres à saucisses et marulas, longeant la rivière asséchée de Nsolo, nous avons gravi cette colline pour dominer le parc de South Luangwa.
Tout autant salvatrice que protectrice, elle nous offrait un sentiment de domination des éléments. Un sentiment bien vite évanoui… Ici et là, on pouvait compter de nombreuses empreintes d’animaux de passage.
Tout autour, épars ou grégaires, quelques buissons semblaient vouloir conquérir le ciel et marquer leur territoire. Je savais qu’ils seraient prêts à nous protéger en cas d’intrusion nocturne dans notre frêle campement.
Au fil des minutes passées autour du feu de bois à contempler, assise, immobile, toute l’étendue sauvage qui s’offrait à moi, les couleurs changèrent. Le changement fut imperceptible au début, puis s’accentua dès lors que le soleil décida d’aller se coucher. Alors ce fut la bascule. Le bleu devint orange. D’abord pâle, comme s’il ne voulait pas déranger. Puis un orange plus soutenu, strié par les traits plus prononcés que dessinent les nuages. Pendant ce temps, le vert s’épaissit en un marron qui se maria avec la terre africaine.
Le coucher du soleil n’apporta pas le silence. S’il mit fin à l’agitation et au tumulte de la journée, il laissa la place à une autre, toute aussi intense et mystérieuse, car invisible.
Et la nuit s’approcha et doucement nous enveloppa de sa sombre bienveillance.
Un croissant de lune termina sa course à l’horizon, comme une fin de règne cédant la place à une autre dynastie. Les buissons alentour prirent vie sous cette lueur mystique. Leur feuillage se découpa avec grâce, créant un jeu d’ombres et de lumières fascinant. Je me sentis enveloppée par cette atmosphère, comme si j’étais plongée dans un conte féerique.
C’est à ce moment-là que je compris pourquoi j’étais là.
C’est drôle. On ne prend pas rendez-vous avec la nature. C’est elle qui décide. Elle s’offre à vous si vous avez envie de la voir. Elle se livre, simplement, en toute conscience. Comme un enfant qui vous tend les bras. Vous ne pouvez lui résister. Elle est là, c’est tout.
Je la rencontrais donc en mettant tous mes sens en éveil. Et de notre discussion silencieuse naquit un profond sentiment de bien-être. En même temps, c’était étrange. J’avais déjà perdu mes repères en foulant cette terre d’Afrique, mais là j’étais ailleurs. J’étais revenue chez moi.
Plus la nuit tombe, plus c’est beau.
Une obscurité presque palpable s’installe autour de moi. C’est à ce moment-là que je le sens. Il résonne jusque dans mes oreilles. Il envahit ma tête. Des coups de tambours, lourds et intenses. Suis-je la seule à les entendre ? Mon cœur bat plus vite que d’ordinaire, emporté par un tourbillon de sensations contradictoires.
Je regarde autour de moi. Quelques ombres s’attardent autour du feu de camp. Je reconnais Moses qui attise le feu mécaniquement. Sans un bruit.
L’air est écrasant de parfums inconnus, mélange de terre chaude, d’herbes sauvages et d’humidité qui s’installe. L’odeur du bush s’infiltre dans mes narines.
Comme la peur, sourde et insistante, qui s’insinue en moi. Les bruits étranges de la nuit africaine résonnent dans l’obscurité, des cris inconnus et des chuintements mystérieux. Je frissonne, je ressens la vulnérabilité de ma situation. Les ombres mouvantes dans les buissons semblent prendre vie, évoquant des prédateurs invisibles qui rôdent dans l’obscurité. Mes sens sont en alerte, chaque bruissement me fait sursauter, chaque son me fait retenir mon souffle. Je vais être dévorée par la nuit.
C’est à cet instant que je lève les yeux vers le ciel, comme pour lui adresser une prière qui dissiperait mes craintes.
Et là, devant moi, s’étend un spectacle à couper le souffle.
Des milliers d’étoiles scintillent avec une intensité incroyable, créant une voûte céleste infinie. La Voie lactée traverse le ciel, une bande de lumière blanche étincelante qui parait se perdre dans l’infini. Les braises du feu de camp montent dans le ciel et des myriades d’étincelles rejoignent la rivière d’étoiles. Je n’en ai jamais vu autant de ma vie. Des timides, des orgueilleuses, des solitaires, des filantes monstrueuses, qui durent deux, trois secondes puis s’effacent comme aspirées par l’infini. La pollution lumineuse des villes ne peut rivaliser avec la pureté et l’éclat de cette nuit sans artifice. Je me perds dans la contemplation des constellations qui ne me sont pas familières. Orion et la Croix du Sud sont autant de mystères.
Je suis émerveillée par cette beauté céleste. Je ne peux pas détourner le regard.
Ce ciel est une invitation à embrasser l’inconnu, à célébrer la grandeur de l’Univers et à reconnaître ma place au sein de cette symphonie cosmique. Je me laisse simplement porter par la magie de ce moment. Je soupire et respire profondément comme si je voulais capturer en moi un peu de cette beauté tranquille.
Je réalise que cette nuit à la belle étoile est bien plus qu’une simple expérience. C’est un voyage vers des horizons infinis.
Les constellations se déplacent. La forme sphérique de la voûte céleste se distingue. Et là, je ressens que ce n’est pas le ciel qui tourne, mais la Terre. C’est une sensation vertigineuse, difficile à expliquer.
Alors que la nuit avance, un sentiment de plaisir étrange commence à se mêler à ma peur. Je me sens vivante d’une manière que je n’ai jamais ressentie auparavant. Cette immensité me ramène à l’essentiel. Je me concentre sur ce qui m’importe et me sens plus inspirée par ce moment d’épanouissement. Mes pensées se libèrent. Je flotte dans l’espace. Je suis en connexion profonde avec la nature. Avec moi- même. Un moment de grâce.
Cet océan galactique m’offre un ballet de lumières qui me berce et me détend. C’est une tentative hors du temps, durant laquelle je me plonge nostalgique dans mes souvenirs les plus joyeux et doux.
Mon horloge interne semble s’ajuster à l’Univers, se brancher à son rythme. Je fais corps avec lui. Je suis un de ses atomes dispersés dans l’infini.
Un grain de sable dans l’océan cosmique.
© Texte : Christian Stefani
© Images : Time + Tide